Décrochage scolaire : syndrome d'une éducation subordonnée
Décrochage scolaire : syndrome d'une éducation subordonnée
Les politiques éducatives visant à réduire le taux de décrochage scolaire nous offrent des résultats en demie teinte. En effet, elles parviennent à atteindre leurs objectifs. Cependant, cette réussite ne les immunise pas contre de constantes critiques notamment issues du milieu enseignant. Ce paradoxe s’explique-t-il par la mauvaise foi de ces éternels insatisfaits, ou par l’aveuglement de gouvernement qui refuse de voir que le décrochage scolaire n’est que la partie émergente d’un gigantesque iceberg ?
Les politiques éducatives visant à réduire le taux de décrochage scolaire nous offrent des résultats en demie teinte. En effet, elles parviennent à atteindre leurs objectifs. Cependant, cette réussite ne les immunise pas contre de constantes critiques notamment issues du milieu enseignant. Ce paradoxe s’explique-t-il par la mauvaise foi de ces éternels insatisfaits, ou par l’aveuglement de gouvernement qui refuse de voir que le décrochage scolaire n’est que la partie émergente d’un gigantesque iceberg ?
Interviewé par CNews, le ministre de l’éducation Michel Blanquer estime qu’ « entre 5 et 8% des élèves » ont été « perdus » deux semaines après la fermeture des écoles, organisée pour lutter contre le coronavirus. La pandémie réactive la question du décrochage scolaire et de ses conséquences. L’impact sur l’estime de soi, un risque de chômage de longue durée grandement accru sans oublier que ce décrochage ne touche pas n’importe qui. S’il n’accentue pas, il révèle en tout cas des inégalités sociales qui ont tendance à s’auto-entretenir. Mais alors, comment lutter contre un tel problème ? Durant cette crise du COVID la solution a vite été donnée. Un mot d’ordre : assurer la « continuité pédagogique ».
De manière plus générale, nous pouvons observer que cela fait une vingtaine d’années que le décrochage scolaire est un des principaux chevaux de bataille du ministère de l’éducation en France. Et en effet, suivant les directives prescrites au sein du cadre de la « Stratégie Europe 2020 », la France peut s’enorgueillir d’avoir fait chuter le nombre de décrocheurs de 140 000 par an en 2014 à seulement 80 000 l’an dernier. Nous pouvons donc, sans crainte, faire confiance à notre ministre de l’éducation, ayant pour projet d'organiser des « colonies de vacances éducatives », ainsi qu’aux « modules de soutien scolaire gratuits » proposés pour enrayer cette autre pandémie, celle du décrochage scolaire.
Un lien paradoxal entre chiffres et réalité
Cependant, une brève mise en perspective historique nous montre que l’invocation de ces chiffres encourageants nous détourne du véritable problème que soulève la question du décrochage scolaire. Au XIXème siècle, le baccalauréat reste un diplôme assez rare. Il n’est obtenu que par 4 600 élèves sur 107 000 scolarisés. Dans l’entre deux guerres, moins de 50% des élèves l’obtiennent. Encore entre 1960 et 1985, son taux d’obtention ne dépasse pas les 70%. Pourtant ce n’est qu’à partir des années 2000 que le décrochage scolaire devient pour les différents gouvernements à travers le monde un enjeu majeur. Mais alors comment expliquer ce paradoxe ? Pourquoi se problème devient-il soudainement brûlant, alors que les chiffres sont en baisse depuis un sciècle ? Mais surtout, avons-nous omis un pan de notre histoire ? Personne ne mentionne le taux inquiétant de décrocheurs, en France, au 20ème siècle. Il semble même que ce soit l’inverse qui soit observé. Le journal numérique La voix des parents titre en 2014 : "Baisse du niveau scolaire, doit-on s’alarmer ?" Le 22 février 2020, l’économiste Philipe Crevel publie un édito dans lequel il s’inquiète de la baisse flagrante des « capacités recensées des élèves français à effectuer des additions » ainsi que de l’augmentation du « nombre de fautes par élève pour une dictée ».
Ces apparents paradoxes s’expliquent assez simplement. Si le taux d’obtention du baccalauréat était si faible durant une grande majorité du 20ème siècle, c’est parce que ce diplôme n’avait que peu d’intérêt hormis pour les étudiants s’engageant dans les milieux universitaires. Les exigences scolaires pouvaient alors être plus élevées sans, pour autant, handicaper les étudiants qui ne parviendraient pas à obtenir le baccalauréat.
Ce qui a changé, c’est donc la valeur accordée à un diplôme et ainsi le regard porté sur ceux qui ne l’obtiennent pas. Le décrochage scolaire n’est donc devenu problématique qu’à partir du moment où il est devenu stigmatisant. Dès lors, nous pouvons légitimement interroger la pertinence des actions politiques de lutte contre le décrochage scolaire. Cela fait plus de 20 ans que nos différents ministres de l’éducation semblent batailler plus contre une définition que contre une réalité sociale et politique. Le décrochage scolaire est un problème ? Redéfinissons donc les critères d’évaluation ! Les chiffres s’effondrent mais le problème demeure...
Décrochage : symptôme d'une éducation
L’attention accrue portée, aujourd’hui, sur le décrochage scolaire ne serait donc que le révélateur d’un problème plus profond. Celui de la nouvelle valeur accordée aux diplômes. L’obtention du baccalauréat est devenue une norme. Avec elle en est apparue une nouvelle, la norme d’achèvement de scolarité (NAS). Le système éducatif doit-il se féliciter d’être parvenu à une telle diffusion de la connaissance scolaire ? Sûrement pas. Ce système, loin de s’être perfectionné, n’a fait qu’amender ses exigences afin de se subordonner à l’évolution du marché du travail.
Marché pour lequel la formation initiale est réduite à un capital détenu par l’individu et le diplôme au signe légitimant la compétence et la flexibilité de ce dernier. Le diplôme est donc réduit à un passeport pour l’emploi. Cela n’est, bien sûr, pas sans conséquence sur la valorisation de l’expérience et de la formation continue qui disparait au profit d’une assurance institutionnelle. Socialement le diplôme devient donc « qualifiant », et ainsi son absence conduit mécaniquement à l’inexistence sociale.
Ce nouveau regard sur le diplôme est lié à la transformation moderne du travail. A l’ère de la mobilité et de la flexibilité à tout prix, la traditionnelle formation dans l’entreprise et la reconnaissance de cette formation par l’employeur disparait. Elle est remplacée par une organisation kafkaïenne où le besoin de norme commune pour repérer les qualifications réduit la personne à une rubrique de CV : Formation.
Nous pouvons déplorer que le monde du travail ait, à ce point, déshumanisé l’humain. Cependant, il faut s’offusquer du fait que le système éducatif lui ait emboîté le pas. La NAS est le résultat d’un processus économique qui place cette norme au sein du marché du travail. Là où l’école a d’abord été pensée pour former de futurs citoyens éclairés et libres, elle se voit aujourd’hui réduite à jouer le jeu de l’aliénation.
Nous pouvons donc nous interroger sur la pertinence des politiques visant à régler le « problème du décrochage scolaire » sans s’interroger sur la signification profonde de son existence en tant que problème de société. Ces politiques et les chiffres grandioses qui les accompagnent ne resteront que de la poudre aux yeux tant que le système éducatif et ses valeurs resteront subornées à celles du monde du travail. Le problème posé par la NAS ne pourra pas être résolu tant que les véritables fonctions de l’institution éducative ne seront pas sérieusement interrogées.
BAPTISTE DUBOIS
Interviewé par CNews, le ministre de l’éducation Michel Blanquer estime qu’ « entre 5 et 8% des élèves » ont été « perdus » deux semaines après la fermeture des écoles, organisée pour lutter contre le coronavirus. La pandémie réactive la question du décrochage scolaire et de ses conséquences. L’impact sur l’estime de soi, un risque de chômage de longue durée grandement accru sans oublier que ce décrochage ne touche pas n’importe qui. S’il n’accentue pas, il révèle en tout cas des inégalités sociales qui ont tendance à s’auto-entretenir. Mais alors, comment lutter contre un tel problème ? Durant cette crise du COVID la solution a vite été donnée. Un mot d’ordre : assurer la « continuité pédagogique ».
De manière plus générale, nous pouvons observer que cela fait une vingtaine d’années que le décrochage scolaire est un des principaux chevaux de bataille du ministère de l’éducation en France. Et en effet, suivant les directives prescrites au sein du cadre de la « Stratégie Europe 2020 », la France peut s’enorgueillir d’avoir fait chuter le nombre de décrocheurs de 140 000 par an en 2014 à seulement 80 000 l’an dernier. Nous pouvons donc, sans crainte, faire confiance à notre ministre de l’éducation, ayant pour projet d'organiser des « colonies de vacances éducatives », ainsi qu’aux « modules de soutien scolaire gratuits » proposés pour enrayer cette autre pandémie, celle du décrochage scolaire.
Un lien paradoxal entre chiffres et réalité
Cependant, une brève mise en perspective historique nous montre que l’invocation de ces chiffres encourageants nous détourne du véritable problème que soulève la question du décrochage scolaire. Au XIXème siècle, le baccalauréat reste un diplôme assez rare. Il n’est obtenu que par 4 600 élèves sur 107 000 scolarisés. Dans l’entre deux guerres, moins de 50% des élèves l’obtiennent. Encore entre 1960 et 1985, son taux d’obtention ne dépasse pas les 70%. Pourtant ce n’est qu’à partir des années 2000 que le décrochage scolaire devient pour les différents gouvernements à travers le monde un enjeu majeur. Mais alors comment expliquer ce paradoxe ? Pourquoi se problème devient-il soudainement brûlant, alors que les chiffres sont en baisse depuis un sciècle ? Mais surtout, avons-nous omis un pan de notre histoire ? Personne ne mentionne le taux inquiétant de décrocheurs, en France, au 20ème siècle. Il semble même que ce soit l’inverse qui soit observé. Le journal numérique La voix des parents titre en 2014 : "Baisse du niveau scolaire, doit-on s’alarmer ?" Le 22 février 2020, l’économiste Philipe Crevel publie un édito dans lequel il s’inquiète de la baisse flagrante des « capacités recensées des élèves français à effectuer des additions » ainsi que de l’augmentation du « nombre de fautes par élève pour une dictée ».
Ces apparents paradoxes s’expliquent assez simplement. Si le taux d’obtention du baccalauréat était si faible durant une grande majorité du 20ème siècle, c’est parce que ce diplôme n’avait que peu d’intérêt hormis pour les étudiants s’engageant dans les milieux universitaires. Les exigences scolaires pouvaient alors être plus élevées sans, pour autant, handicaper les étudiants qui ne parviendraient pas à obtenir le baccalauréat.
Ce qui a changé, c’est donc la valeur accordée à un diplôme et ainsi le regard porté sur ceux qui ne l’obtiennent pas. Le décrochage scolaire n’est donc devenu problématique qu’à partir du moment où il est devenu stigmatisant. Dès lors, nous pouvons légitimement interroger la pertinence des actions politiques de lutte contre le décrochage scolaire. Cela fait plus de 20 ans que nos différents ministres de l’éducation semblent batailler plus contre une définition que contre une réalité sociale et politique. Le décrochage scolaire est un problème ? Redéfinissons donc les critères d’évaluation ! Les chiffres s’effondrent mais le problème demeure...
Décrochage : symptôme d'une éducation
L’attention accrue portée, aujourd’hui, sur le décrochage scolaire ne serait donc que le révélateur d’un problème plus profond. Celui de la nouvelle valeur accordée aux diplômes. L’obtention du baccalauréat est devenue une norme. Avec elle en est apparue une nouvelle, la norme d’achèvement de scolarité (NAS). Le système éducatif doit-il se féliciter d’être parvenu à une telle diffusion de la connaissance scolaire ? Sûrement pas. Ce système, loin de s’être perfectionné, n’a fait qu’amender ses exigences afin de se subordonner à l’évolution du marché du travail.
Marché pour lequel la formation initiale est réduite à un capital détenu par l’individu et le diplôme au signe légitimant la compétence et la flexibilité de ce dernier. Le diplôme est donc réduit à un passeport pour l’emploi. Cela n’est, bien sûr, pas sans conséquence sur la valorisation de l’expérience et de la formation continue qui disparait au profit d’une assurance institutionnelle. Socialement le diplôme devient donc « qualifiant », et ainsi son absence conduit mécaniquement à l’inexistence sociale.
Ce nouveau regard sur le diplôme est lié à la transformation moderne du travail. A l’ère de la mobilité et de la flexibilité à tout prix, la traditionnelle formation dans l’entreprise et la reconnaissance de cette formation par l’employeur disparait. Elle est remplacée par une organisation kafkaïenne où le besoin de norme commune pour repérer les qualifications réduit la personne à une rubrique de CV : Formation.
Nous pouvons déplorer que le monde du travail ait, à ce point, déshumanisé l’humain. Cependant, il faut s’offusquer du fait que le système éducatif lui ait emboîté le pas. La NAS est le résultat d’un processus économique qui place cette norme au sein du marché du travail. Là où l’école a d’abord été pensée pour former de futurs citoyens éclairés et libres, elle se voit aujourd’hui réduite à jouer le jeu de l’aliénation.
Nous pouvons donc nous interroger sur la pertinence des politiques visant à régler le « problème du décrochage scolaire » sans s’interroger sur la signification profonde de son existence en tant que problème de société. Ces politiques et les chiffres grandioses qui les accompagnent ne resteront que de la poudre aux yeux tant que le système éducatif et ses valeurs resteront subornées à celles du monde du travail. Le problème posé par la NAS ne pourra pas être résolu tant que les véritables fonctions de l’institution éducative ne seront pas sérieusement interrogées.
BAPTISTE DUBOIS
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