Nous pourrions donc résumer la situation ainsi : les professeurs « idéalistes » s’opposent à un gouvernement « réaliste » sur cette « stratégie des petits pas ». Mais le débat peut-il être réduit à cette querelle sur la forme que doivent prendre les réformes ? Petites ou grandes mesures ? Il serait sans doute plus fructueux de déplacer le débat sur une question de fond. Quel est le cap visé par les réformes ? Quelle vision de l’éducation cherchons-nous à atteindre avec celles-ci ? En somme, vers où nous mènent ces « petits pas » ?
C’est peut-être ici que se joue le véritable problème. Ce qu’il manque aux gouvernements, c’est une vision de long terme. En se barricadant derrière la réalité du court terme, ils en oublient l’ingrédient principal d’un projet : l’objectif ! Si celui-ci se réduit à un éternel ajustement court-termiste, à une accumulation de moyens, alors qui choisira la fin vers lesquels ces derniers doivent poindre ? Les faits nous aiguillent sur le chemin de la réponse. Si les acteurs ne définissent pas clairement la destination de leurs réformes, alors l’environnement social dans lequel ils se trouvent s’en charge pour eux.
Education et organismes d'évaluations internationaux
Voilà ce à quoi ressemble de plus en plus notre système éducatif en France, à un patchwork de tout ce qui est efficace ailleurs. Un patchwork irréfléchi, sans cohérence interne. Ne parlons pas trop vite. En réalité, une cohérence est observable. Toutes les réformes se dirigent vers une organisation de plus en plus entrepreneuriale de l’enseignement, vers une recherche de performance et de rationalisation des résultats que fournit cette institution. Nos sociétés capitalistes mènent une course effrénée au progrès et à la rentabilité. L’efficacité y est devenue une valeur qui vaut pour elle-même. Tout comme une bonne entreprise, une bonne éducation doit fournir des résultats probants. Comment ? En présentant de bons résultats, de bonnes statistiques aux organismes d’évaluation internationaux. Chercher à correspondre au mieux aux exigences d’une telle organisation, est-ce véritablement révélateur d’un réalisme averti et réfléchi ? N’est-il pas plus judicieux de s’interroger sur la pertinence de ces outils quant à leur capacité à évaluer la force d’un système éducatif ? Affirmer cette pertinence sous-entend que nous considérons que ce qu’apporte l’éducation est quantifiable. Qui serait prêt à soutenir que la liberté et l’autonomie intellectuelles, l’intégration sociale ou encore l’éducation à la citoyenneté sont des données quantifiables ? Ce sont pourtant les objectifs les plus fondamentaux de l’éducation...
Sortir d'une logique entreprenariale de l'éducation
La solution ne serait donc pas nécessairement la mise en place d’une gigantesque réforme. Mais simplement, l’instauration d’un cap réfléchi et cohérent qui permettrait, par la suite, de mener une « stratégie des petits pas » efficaces. Cela devrait passer par la prise au sérieux de l’institution éducative et de ses particularités. Contrairement à une entreprise, un établissement scolaire ne peut pas être rentable. Vouloir mesurer la performance du système éducatif par des évaluations quantitatives et se fier à celles-ci pour orienter les réformes relève d’une incompréhension – si ce n’est d’un désintérêt total - à l’égard des finalités profondes de l’enseignement. L’esprit critique, la capacité de réflexion et d’expression, la créativité ou encore l’autonomie sont autant de qualités cruciales qui échappent à la froide évaluation quantitative royalement illustrée par l’épreuve aujourd’hui si courante du QCM.
Aujourd’hui en France, le rapport techniciste que nous avons à l’éducation, rapport mis en évidence par la succession de réformes ainsi que par notre comparaison lacunaire aux systèmes éducatifs étrangers, nous mène à importer des bribes de systèmes aillant fait leurs preuves dans d’autres pays. Cette pratique révèle une vision court-termiste, mais surtout irréfléchie du rôle de l’éducation et de son fonctionnement. Nos ministres de l’éducation successifs s’évertuent à ajouter des couches de vernis sur un bateau qui fait naufrage. Ne serait-il pas plus judicieux de prendre le temps de redresser le cap, et alors, de s’interroger sur quelles pièces il serait le plus judicieux de changer pour finalement parvenir à bon port ?
BAPTISTE DUBOIS